
CULTURE ET BIBLIOTHEQUES POUR TOUS du FINISTERE

Livres sélectionnés pour le PRIX CBPT 2017
«Continuer»
Laurent MAUVIGNIER
Ed: Editions de minuit
Au cours d’une soirée trop arrosée, Samuel, seize ans, a eu un comportement inadmissible. Sybille, sa mère, récemment divorcée et qui, depuis vingt ans, a vu tous ses beaux projets sombrer peu à peu, est bien décidée à le sauver. Elle l’emmène, malgré son refus et sa résistance, au Kirghizistan, qu’ils vont parcourir à cheval – l’amour du cheval étant leur seule passion partagée. Le père de Samuel leur a prédit le pire et d’emblée la situation semble lui donner raison.
Laurent Mauvignier (Autour du monde, NB octobre 2014) offre un beau roman d’apprentissage, où la mère apprendra autant que le fils, son difficile passé se dévoilant peu à peu. Le contraste est fort entre ces deux personnages quand l’amour, la haine et la peur peuvent mener très loin. Une très belle écriture épouse aussi bien les moments forts, où la tragédie n’est pas loin, que la fine analyse psychologique, en particulier celle de l’adolescence. Outre le dépaysement qu’offre « le pays des chevaux célestes », le roman se construit aussi sur une question très actuelle : comment accepter l’autre, quel qu’il soit ? Souvent très lyrique, parfois un peu plus conventionnel, un récit intelligent et émouvant. (M.-C.A. et J.D.)
«Désorientale»
Negar DJAVADI
Ed:Liana Levi
Hôpital Cochin. Kimiâ suit un protocole de PMA. Elle a caché que l'enfant qu'elle espère avoir avec Pierre sera élevé par deux mères. L’attente est propice à la rêverie, au retour vers un passé familial en Iran. Ses parents, intellectuels opposants au Shah puis à Khomeiny, sérieusement menacés de mort, choisissent l’exil en France en 1981. Les souvenirs se bousculent : l'arrière-grand-père aux yeux bleus et ses cinquante-deux épouses, ses grands-mères dont l’une est arménienne, son oncle préféré si différent de ses frères, ses deux soeurs, Darius et Sara, parents exceptionnels : famille atypique, foisonnante et chaleureuse.
Désorientale (excellent titre) est le premier roman de Négar Djavadi, scénariste et metteur en scène, née en Iran en 1969. Un roman qui sonne incroyablement réel et juste, donnant à penser qu'il est en partie autobiographique. Les pistes sont nombreuses, on pénètre dans un véritable labyrinthe où se révèle la personnalité de celle qui, désormais Désorientale, veut museler sa culture persane, mais garde la nostalgie d'un paradis perdu. L'auteur, qui écrit en français, a magistralement rendu le lien sensuel unissant la narratrice à son pays natal. L'écriture directe, drôle, originale, sert parfaitement ce texte émouvant et passionnant qu’on ne lâche pas. (A.-C.C.-M. et M.-C.A.)
«Marcher droit,tourner en rond»
Emmanuel VENET
Ed: Verdier
La grand-mère Marguerite vient de mourir et les qualités de la défunte, évoquées lors de son enterrement ainsi que le récit de sa vie exemplaire font revenir son petit-fils sur chaque membre de sa famille. Atteint d’Asperger, il occupe tout son temps au scrabble et à l’adoration sans limite de son amie d’enfance, ce qui lui a valu des déboires judiciaires. Ses pensées et ses paroles sont sans filtre et la merveilleuse famille est dépeinte sous son véritable visage, avec ses mesquineries et ses bassesses, ses raisonnements logiques ne l’excluant pas totalement, lui aussi, dans ce portrait au vitriol.
Emmanuel Venet (Rien, NB novembre 2009), psychiatre, dans une analyse froide, à l’humour grinçant, se sert d’une forme d’autisme bien particulière pour présenter une personnalité brillante et totalement inapte à la vie sociale, incapable de comprendre les codes et de s’y plier. Son écriture est fluide, limpide. Aucun chapitre ne vient rythmer son propos qui se lit d’une traite, suscitant émotion et rire, sans aucune moquerie. Les travers de l’humanité vus par son personnage n’en sont que plus réels et posent le problème de la sincérité dans les rapports sociaux. Le ton est juste, la lecture jubilatoire.(E.A. et A.Be)
«Comment Baptiste est mort»
Alain BLOTTIÈRE
Ed:Gallimard
Baptiste, adolescent de quatorze ans, a été récupéré des mains de djihadistes qui l’avaient enlevé et avaient exécuté sa famille. Un psychiatre s’entretient avec lui, tente peu à peu de forcer sa mémoire : il y a eu le temps de l’enlèvement où lui et les siens essaient de survivre, le temps de la séparation où il est exilé, seul, en plein désert et le retour auprès des jeunes terroristes qui achèvent, à coup de drogue et de violence, sa métamorphose en futur combattant. Les points d’ombre s’éclaircissent, laissant entrevoir une effroyable manipulation.
La fragilité de l’adolescence face aux turpitudes du monde, sujet cher à l’auteur (Rêveurs, NB novembre 2012), trouve ici son illustration dans une actualité brûlante. Alain Blottière cerne bien la mentalité de jeunes fanatisés, prêts à tout, qui enrôlent ceux de leur âge pour les transformer en êtres sanguinaires monstrueux, sans gommer toutefois le peu d’humanité qui leur reste. De même, le portrait de Baptiste émeut par sa sensibilité et sa pudeur, au-delà des horreurs vécues, avouées ou occultées. Un style inspiré, qui exalte la magie du désert, alterne dialogues et récits du rescapé. La poésie côtoie l’indicible. (L.K. et M.Bo.)